Par Barbara Redmond

Barbara Redmond retouched 10:29:13 #1(English) Le bruit de l’obturateur retentissait dans un doux ronronnement. Juste assez fort pour que l’on puisse distinguer le Nikon du photographe à travers le vacarme des voix, le bruit des couverts qui s’entrechoquaient ainsi que le bruissement des pages de quotidiens comme Le Monde, Libération et L’Humanité que tournaient les Parisiens à l’affût du dernier scoop. Après tout, nous étions sur la Rive gauche de Paris, au Café de Flore, lieu de rencontre d’André Breton et de sa bande d’amis surréalistes, Louis Aragon et Philippe Soupault et le point de rendez-vous de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Parmi ces journaux de centre, gauche et d’extrême gauche, on pouvait aussi trouver le Figaro et l’Ouest-France, des quotidiens dont les lignes éditoriales sont plutôt situées à droite et au centre droit. Encore aujourd’hui, le Flore reste le lieu idéal pour observer le Français dans ses habitudes matinales, en train de siroter son café parmi quelques groupes d’anglais qui, cachés derrière le International Herald Tribune ou encore le Financial Times, observent attentivement les locaux débitant leur flot continu de paroles, le doigt prêt à claquer dans cette manie typiquement française pour attirer l’attention d’un serveur.

J’étais arrivée tôt à Saint-Germain-des-Près, dans le 6ème arrondissement de Paris pour être sûre d’obtenir une table au café de Flore pour Frédérique et moi-même. Il faut s’armer de beaucoup de patience pour que se libère l’une de ces petites tables rondes prisées par le notable, l’intellectuel ou encore la ribambelle de femmes à la pointe de la mode, arborant leur dernier achat pendant la Fashion Week de Paris, les touristes mais aussi les plus âgés, fidèles au poste depuis des années. J’avais rendez-vous avec la photographe de mode parisienne, Frédérique Veysset qui a notamment eu l’occasion de photographier des stars internationales comme Charlotte Gainsbourg, Emmanuelle Seigner ou encore Denis Hopper, entre autres, ainsi que les artistes Patrick Bruel, Vanessa Paradis et Gérald de Palmas pour les magazines Vanity Fair, Mademoiselle, Rolling Stone, Marie Claire, Glamour et ELLE. Un travail impressionant qu’il serait impossible de détailler ici.

J’ai récemment publié une interview dans A Woman’s Paris avec Isabelle Thomas, co-auteur du bestseller Street Style: A Guide to Effortless Chic (qui a été traduit dans plus de sept langues). J’ai decidé de l’appeler pour lui demander de me recommender un(e) photographe de mode qui corresponderait à mon budget et qui pourrait intercaler une séance photo pour moi dans l’emploi du temps chargé d’une Fashion Week. Isabelle m’a alors répondu qu’il serait difficile de trouver un photographe disponible en pleine Fashion Week mais m’a conseillé de contacter sa co-auteur, Frédérique Veysset. J’ai donc suivi ses conseils et contacté Frédérique qui m’a immédiatement répondu : « Isabelle m’a dit que tu cherchais un(e) photographe. Les portraits à l’extérieur sont justement ma spécialité ! C’est difficile d’estimer un prix… Je m’arrangerai pour l’intercaler dans mon emploi du temps. Rendez-vous demain matin au Café de Flore à 9h et on pourra en parler, ça marche ? »

Au cours de ma carrière, j’ai été directrice artistique pour Target, Pillsbury ainsi que Wells Fargo, entre autres, contribuant à la fabrication et la commercialisation de ces marques. J’ai bien connu cette atmosphère où il fallait à la fois se dépêcher mais aussi s’armer de patience sur les plateaux entre les scripts, les storyboards, la mise en scène, le choix des accessoires, le maquillage, les costumes, la lumière, puis les essais, le tournage sans parler de toutes les miniscules modifications à faire au cours du tournage et … Tout recommencer à zéro ! Sans oublier les essais photo avec les grilles de mise en page pour définir la position du texte afin d’éviter de devoir retoucher ou recadrer par la suite. C’est un business qui repose entièrement sur le respect des délais et où l’on ne fait aucune économie sur le buget dédié à la photographie de mode ou de nourriture destinée à une consommation de masse. J’ai déjà été amenée à engager des photographes venus d’autres pays, de partout à travers les Etat-Unis, des photographes locaux pour des séances photo en Amérique du Sud, en Europe et en Asie. Je suis donc tout à fait au courant du montant des dépenses quotidiennes et des indemnités qu’il faut inclure dans le budget. Pour mon entrevue avec Frédérique au Café de Flore, j’étais donc venue préparée, juste au cas où notre rendez-vous se transformerait directement en séance photo.

Dans l’appartement de la rue Vaugirard, à seulement quelques pâtés de maison du café de Flore, mon placard débordait de vêtements : des cols roulés noirs, des pulls en cachemire à col en v, des pulls au ras du coup, des robes, des pantalons et des jean noirs, un blazer noir et un trench Burberry noir, des écharpes Hermès et encore plus de chaussures, celles que j’ai amenées à Paris et celles que j’ai achetées ici. La trousse de maquillage en soie rouge sur le meuble de la salle de bain n’était pas en reste : de la poudre, du blush couleur Rose Pétale, le crayon à lèvres couleur Pêche et le baume à lèvres couleur Rose Perle de chez Chanel ainsi que deux pinceaux de maquillage professionnels de chez Sephora. De l’autre côté du meuble, je m’étais organisée un petit coin avec du démaquillant, des lotions, des anti-cernes, des crèmes hydratantes, des brumes fixatrices de maquillage et mon lait velour pour le corps préféré (quand je suis sur Paris), la Petite Robe Noire de Guerlain. Avant de partir à la rencontre de Frédérique, j’avais opté pour un maquillage et une tenue sobres : un peu de poudre et un rouge à lèvres nude, un col roulé et un pantalon, mon trench et le sac rempli de maquillage et d’écharpes Hermès, au cas où.

Après avoir tourné un moment devant l’entrée du Café de Flore pour scruter l’intérieur afin de repérer un signe de la part de Frédérique, que je n’avais encore jamais vue, j’ai foncé vers la seule table disponible en vue. Les personnes qui y étaient assises se levaient pour partir et elle était située idéalement, près de la vitrine et de la porte pour attirer l’attention de Frédérique. On s’est recconues immédiatement après que nos regards se soient croisés à travers la vitrine.

Tendance, élégante et chic, avec son Nikon reposant sur sa taille fine et la main légèrement refermée sur son sac en bandoulière, je savais que j’allais l’apprécier. Elle avait lu mon article : Les Ballerines à Paris- et puis Dieu a fait Repetto et nous avons longuement parlé de ballerines, talons aiguilles, promenades, du comportement des gens, de l’éducation de nos filles ainsi que de son amour pour New York, ayant elle-même vécu et travaillé à Manhattan.

« Ne fais pas attention à moi », dit-elle alors qu’elle changeait l’objectif de son Nikon, s’affairant avec de petits mouvements rapides dans son sac. « Je veux juste tester le décor. J’adore la lumière. Bon on ne commence pas la séance, c’est juste pour voir ce que ça donne ».Vieille astuce de photographe pour éviter le stress du modèle. Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace… « Redresse juste un peu le menton vers la gauche », ajouta-t-elle.

Je portais alors mon trench sur les épaules. « Tu préfères que j’enlève mon manteau ? J’ai du maquillage et des écharpes dans mon sac. » « Non, pas besoin, quand je t’ai vue à travers la vitrine, j’ai trouvé que tu avais le look d’une vraie française. Humidifie un peu tes lèvres”, répliqua-t-elle tout en commançant à prendre photo sur photo, maniant l’appareil plus vite que son ombre sans poser. Elle s’est levée, a déplacé sa chaise, puis demandé à l’homme assis à la table derrière nous s’il pouvait décaler sa table, tout cela dans un rapide français.

Je ne suis pas mannequin. On était en pleine Fashion Week et l’endroit était rempli de parisiennes à l’allure chic et de touristes venus tôt pour prendre un café. Mais ce n’était pas encore l’heure des fashionistas qui arriveraient plus tard, les accros au shopping et celles venues spécialement pour les défilés. En pleine discussion avec Frédérique, je sentais que certains nous observaient, cachés derrière leurs journaux jetant de petits coups d’œil en coin en haussant les sourcils ou encore replaçant leurs lunettes sur le nez comme le font les Français souhaitant attirer l’attention des serveurs pour payer l’addition. L’attention ainsi centrée sur Frédérique et moi-même, j’étais aux anges. C’était comme porter de nouveaux vêtements ou un nouveau bijou ou encore se balader dans les rues avec une magnifique paire de talons hauts ou un sac à main dernier cri.

Barbara Redmond retouched 10:29:13 #2Au milieu du vacarme des voix et du cliquetis de l’appareil photo, Frédérique s’est levée pour partir. Je l’ai suivie depuis le Flore jusque sur le boulevard Saint-Germain. Elle m’a alors proposé de se rendre Place de Furstenberg, un petit parc reculé à deux pâtés de maison. Je lui ai dit que je connaissais bien l’endroit et j’ai tourné au coin pour déboucher sur la rue Bonaparte alors qu’elle continuait de prendre des photos depuis notre table du café, le trottoir et le passage piéton. « Fais ce qu’il te semble le plus naturel de faire, marche, tourne toi, arête toi, parle moi si tu veux » me dit-elle de sa voix à present familière qui me venait de derrière l’objectif. Mon manteau était toujours posé sur mes épaules, le maquillage et les écharpes toujours dans mon sac. Quand Frédérique a semblé avoir fini, environ 20 minutes plus tard, elle a retiré l’objectif, remis le cache en place et soulevé la sangle de son appareil photo au-dessus de la tête pour le porter en bandoulière. Nous nous sommes promenées d’une rue à l’autre, nous arrêtant devant les vitrines qui attiraient notre attention et devant les boutiques décrites dans les précédents livres écrits par Frédérique et Isabelle Thomas You’re So French ! et You’re So French Men, Secrets d’élégance masculine.

Le matin suivant notre séance photos j’ai reçu les photos finales choisies parmi les centaines de clichés pris par Frédérique. J’ai réquisitionné mes deux filles ainsi que plusieurs amis parisiens pour m’aider à choisir. Comme le savent les professionnels, il est facile de sélectionner la bonne photo pour un client mais c’est une autre histoire quand il s’agit de photos de soi.

Mon séjour d’un mois à Paris se terminait dans deux semaines. J’avais passé la première partie de mon voyage sur la Côte d’Azur. J’ai insisté auprès de tous mes amis et connaissances pour qu’ils me trouvent un photographe professionnel au cours des deux dernières semaines qui me restaient pour pouvoir faire une séance photo dans leur ville préférée. J’étais vraiment à la recherche d’un photographe talentueux qui saurait faire ressortir une autre facette de moi-même que je ne connaitrais pas encore. « Chacun, après tout, chacun de ceux qui écrivent, souhaite vivre à l’intérieur de lui-même afin de décrire ce qu’il trouve à l’intérieur de lui-même. C’est pourquoi les écrivains doivent avoir deux pays, leur pays d’origine et celui dans lequel ils vivent. Ce dernier est romantique, il est extérieur, il n’est pas réel et pourtant il est réellement là. »

Ayant déjà assisté des modèles ou des cadres pour des séances photos, contribuant à la mise en scène et ayant moi-même passé plusieurs fois déjà l’objectif, je connaissais bien la routine : éclairage, maquillage, costume, des vêtements qui ne vont pas puis la séance photo en elle-même : prises de vue à droite, à gauche, en haut, en bas, les assistants incapables de tenir en place, les directeurs artistiques, les représentants du client qui se rongent les ongles, priant pour que la photo soit parfaite, déjà en train d’appeler le retoucheur numérique pour effacer le moindre défaut.

Mais là c’était différent, pas de lumière studio, pas de maquillage, pas de professionnels, seulement Paris, Frédérique et moi, partageant un moment de franche complicité.

Après plusieurs semaines, j’ai ressorti les photos et j’ai commencé à rire en les regardant. Je me suis concentrée sur ces images qui ont capturé Paris dans le temps et l’espace, Paris pleine de surprise, Paris la capricieuse. Paris tout simplement.

Remerciements : Suzy Keller, traductrice diplômée de l’ITI-RI

Barbara Redmond 708x955 Paris #2Barbara Redmond, éditeur de « A Woman’s Paris » (AWP), est une francophile qui se rend à Paris aussi souvent que possible. Ses articles sur Paris et la France sont reproduits, avec sa permission, par d’autres blogs et publications. Barbara a donné des conférences sur la mode française et la gastronomie et aide les étudiants qui veulent étudier à l’étranger. Elle fait partie du comité consultatif à l’Université de Minnesota, à la Faculté de Design. Barbara est une conseillère active pour les étudiants. Les talents artistiques de Barbara sont reconnus par de nombreuses organisations nationales et internationales. Ses peintures sont présentées lors d’expositions en Europe et en Amérique du Nord et sont disponibles à l’achat ici.

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