Par Barbara Redmond

Place de la Bastille, by Barbara Redmond(English) Je savais comment me faufiler à travers la nuée de photographes à l’affût armés de Hasselblads et de Mamiyas valant plusieurs milliers de dollars. Certains en avaient même plusieurs et se tordaient pour adopter la meilleure position.

Je me disais : « Ne pense pas. Contente-toi de te frayer un chemin parmi les appareils photo. Evite les célébrités et les journalistes. Ne t’arrête pas ! »

Les photographes de presse, prêts à dégainer leur appareil photo, bénéficiaient d’un accès privé donnant sur la rue pour se rendre dans ce petit entrepôt où le défilé de haute couture, auquel j’espérais pouvoir assister, avait lieu. La plupart des photographes s’étaient rués vers le podium, à moins de 3 mètres à peine, afin d’avoir la meilleure place.

Quarante minutes avant le show, je me tenais sur le trottoir au 17, rue Commines dans le troisième arrondissement de Paris et regardais les voitures Mercedes-Benz, partenaires officiels du défilé, s’arrêter juste devant l’entrée réservée aux photographes. Des journalistes en descendaient un par un, équipés de valises remplies de matériel photo. Les voitures faisaient la navette entre les différents défilés.

Deux guitaristes électriques et une jeune chanteuse répétaient sur une scène devant une toile de fond représentant Le Petit Trianon, le pavillon privé de Marie-Antoinette à Versailles. Le podium se déroulait à travers la foule et des bancs en bois étaient installés tout autour, formant un U, sur lesquels se trouvaient des pochettes destinées aux journalistes et aux célébrités pour présenter la première collection signée Maxime Simoëns, collection Été 2011 intitulée « This, Madame, is Versailles ! ».

S’inviter à un défilé haute couture

J’avais organisé mon voyage en France seulement trois semaines avant ce défilé et mon itinéraire ne me laissait que deux jours sur Paris. Pour la première fois, ma visite à Paris tombait pile en même temps que les défilés haute couture.

« Tu seras à Paris pendant la Fashion Week », me dit Ron. « J’ai un petit cadeau pour toi. »

Ron est un créateur qui vit à Minneapolis. Il m’a offert un long foulard noir en soie, coupé en diagonal, orné d’une longue et fine plume de coq dans chaque coin. Autour d’un verre de vin, nous avons discuté de mode, du foulard et des collections de mode parisiennes.

« Essaye d’assister à l’un des défilés », me dit-il alors que l’on portait un toast à Paris.

La Fashion Week se déroulait du 24 au 27 janvier 2011 et réunissait les plus grands noms de la haute couture : Christian Dior au musée Rodin, Chanel au Pavillon Cambon Capucines et Adeline André à l’hôtel d’Ecquevilly. Je n’étais disponible que le 26 janvier et n’avais aucune invitation mais j’étais prête à tenter ma chance pour assister à un défilé.

Comme une étudiante en pleine période de partiels, j’avais récolté toutes les informations sur tous les défilés, horaires et lieux, qui avaient été publiées en ligne seulement quelques jours avant mon départ par la Fédération Française de la Couture du Prêt-à-Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode. Franck Sorbier, Elie Saab, Jean-Paul Gaultier, Maxime Simoëns, Maison Rabih Kayrouz et Valentino. Le défilé de Maxime Simoëns se déroulait à quatre heures de l’après-midi à seulement quelques pâtés de maison de mon appartement Place de la Bastille et celui de Valentino se déroulait à six heures et demie le même jour à l’hôtel Salomon de Rothschild dans le huitième arrondissement.

Je ne me suis jamais incrustée à un mariage sans invitation encore moins à un défilé haute couture ! « Tente ta chance ! », me dit mon amie Sally.

Sally et moi avions passé toute une après-midi à fouiller ma garde-robe en vue de mon séjour parisien. Tous mes vêtements étaient éparpillés dans son dressing et nous cherchions le meilleur look qui me permettrait de me fondre dans le décor d’un défilé. Des santiags noires que j’avais achetées à Rome dans le milieu des années 80, une jupe en tweed Chanel que j’avais achetée à Maupiou à Paris, un manteau noir en cachemire moulant style années 40 avec un un col en vison que ma couturière Oksana et moi-même avons dessiné ensemble et, la touche finale : le foulard noir orné de plumes offert par Ron.

Sally et moi savions comment éviter de ressembler à la petite Américaine débarquée de sa province qui a voulu se mettre sur son trente et un. « Tu seras dans la capitale mondiale de la mode », me dit Sally. « Si tu as besoin de quoique ce soit pour compléter ta tenue, tu auras tous les magasins de Paris à tes pieds! »

Le défilé haute couture de Maxime Simoëns

Je connaissais bien la rue Commines. C’est une rue étroite perpendiculaire au boulevard Beaumarchais dans laquelle sont alignés des ateliers, des boutiques et des bistros et qui mène à la célèbre rue consacrée au shopping dans le Marais, la rue des Francs-Bourgeois. Quelques années auparavant, j’avais parcouru cette rue de long en large à la recherche de mon bijoutier parisien préféré en vain.

J’arrivai à l’entrepôt, un bâtiment couleur terre cuite avec deux petites portes de chaque côté d’une grande porte bleue qui ouvrait ses portes à quatre heures pour le défilé. Il y avait deux photographes, un vigile en uniforme, une jeune femme à la pointe de la mode et moi-même. « C’est bien ici que se déroule le défilé de Maxime Simoëns ? », demandai-je. « Oui », me répondit la jeune femme, d’allure sportive avec une coupe à la garçonne, un haut rayé, un jean moulant et des ballerines. Elle fumait une cigarette avec les photographes qui s’appuyaient contre une moto garée contre le bâtiment.

« Bonjour mademoiselle » dis-je en lui tendant ma carte de visite. « Je n’ai pas de carton d’invitation pour le défilé. Pouvez-vous m’aider ? »

« Oui, madame », me répondit-elle en disparaissant derrière la porte avec ma carte. L’attente me parut durer une éternité. Quand elle revînt enfin, ce fut pour m’annoncer : « Madame, ce n’est pas possible ».

Juste à ce moment là, quatre Parisiennes clinquantes, probablement dans la soixantaine, se joignirent à moi sur le trottoir dans le froid. Elles portaient les accessoires immanquables à leur tenue plutôt classique : sacs à main, ceintures, foulards et chaussures signés Yves Saint Laurent, Hermès et Roger Vivier. Peu après, quatre hommes du même âge habillés de la même manière vinrent les rejoindre.

Bientôt, nous fûmes plusieurs à s’attrouper devant la grande porte bleue, les deux photographes, le vigile et la jeune fille aux cheveux courts, essayant de profiter de la chaleur humaine. Des accents français, italien, espagnol et anglais fusaient tout autour de moi. Couvrant le vacarme des voix, un homme passa de l’espagnol à l’anglais et dit à une connaissance qu’il venait tout juste d’arriver de Buenos Aires et lui demandait s’il comptait également se rendre à Rome.

S’agitant avec leur carton d’invitation sous le bras ou serré dans une main, tout le monde semblait avoir un ticket d’entrée pour le défilé. Prenant mon courage à deux mains, je m’adressai à un autre vigile en uniforme qui avait rejoint la foule. Il disparut avec ma carte en main derrière la grande porte bleue et, comme la jeune fille aux cheveux courts un peu plus tôt, revînt pour m’annoncer : « Madame, ce n’est pas possible ».

Cinq jeunes femmes à la taille fine se faufilèrent à travers l’embrasure de la grande porte bleue, leur maquillage leur donnant une allure de poupée en porcelaine. Chacune avait des cheveux blonds tirés en arrière, enroulés comme à la façon d’une couronne pour finir en un chignon lâche sur leur nuque. Elles se blottissaient les unes contre les autres pour éviter la foule. Portant un jupon vaporeux sous un blouson vintage, un manteau en toile et des ballerines Repetto aux pieds, chacune fumait une cigarette. Elles repartirent aussi vite qu’elles étaient arrivées.

Les Mercedes défilaient dans la rue, les unes derrière les autres, chacune déposant des célébrités et journalistes qui se pavanaient en descendant de la voiture et montaient les marches jusqu’à la porte bleue. Ils étaient accueillis à mi-chemin par un homme arborant une masse de cheveux blancs épais qui portait un long manteau bleu en cachemire. Il les recevait en leur faisant une bise sur chaque joue, salutation typiquement française, avant de les accompagner jusqu’à la porte.

Les Mercedes défilaient dans la rue, les unes derrière les autres, chacune déposant des célébrités et journalistes qui se pavanaient en descendant de la voiture et montaient les marches jusqu’à la porte bleue. Ils étaient accueillis à mi-chemin par un homme arborant une masse de cheveux blancs épais qui portait un long manteau bleu en cachemire. Il les recevait en leur faisant une bise sur chaque joue, salutation typiquement française, avant de les accompagner jusqu’à la porte.

C’était le moment où jamais… Je profitai d’un espace vide entre la première vague de célébrités et le reste d’entre nous. Un autre vigile en uniforme ainsi qu’une Parisienne élégante habillée de noir, serrant un bloc-notes contre sa taille venaient d’apparaître en haut des marches. Je me faufilai à travers la foule, carte de visite en main, et m’adressai au vigile : « Bonjour monsieur » et, préférant continuer en anglais pour me donner toutes mes chances : « J’écris pour un magazine en ligne appelé A Woman’s Paris®, je n’ai pas de carton d’invitation pour le défilé, je viens tout juste d’arriver ».

Le vigile fit un signe de la tête à la femme qui me sourit et m’invita à entrer. Je ne m’attendais pas du tout à cela : ce n’était pas une fête à proprement parler. Pas de champagne, pas de vin, pas de hors d’œuvres. Je me frayai un chemin à travers la foule d’invités vers l’endroit où étaient attroupés les photographes, probablement la meilleure place pour assister à mon tout premier défilé haute couture à Paris ! Cette collection était tout simplement à couper le souffle ! La précision et la pureté des lignes révélaient une élégance et une féminité sensuelle. Un véritable tourbillon de mousseline en soie transparente dans des tons roses, bleus, verts et écrus, de gabardine blanche et de satin noir. La collection comprenait des robes ornées de fleurs baroques, des robes structurées avec des bretelles en chaînes dans un dégradé de couleurs, des plumes, des millefeuilles d’organza et une robe courte en chaînes qui reflétait parfaitement l’amour de Marie-Antoinette pour la nature et son envie d’échapper au conformisme de la vie royale au Petit Trianon.

Mais ce fut le dernier modèle, le numéro 39, qui fut acclamé unanimement par le public du premier défilé de Maxime. Il s’agissait d’une longue robe ornée de chaînes rappelant un code barre dans des contrastes mats/brillants et noirs/gris. Le défilé de Maxime dans le Marais se déroulait près du Carreau du Temple, un marché couvert situé sur l’ancien site de la prison du Temple où la famille royale fut détenue pendant la révolution française. Marie-Antoinette, elle-même, fut jugée et reconnue coupable de trahison et menée à travers Paris dans une charrette habillée d’une simple robe blanche. Elle fut exécutée sur la place de la Révolution (l’actuelle place de la Concorde). Je ne pouvais pas imaginer ce que ressentaient les Français devant ce défilé mais l’émotion était palpable lorsque Maxime dévoila sa pièce finale : cette élégante robe en chaînes portée juste à côté d’un site lourd d’histoire. Le défilé dura vingt minutes. Je quittai l’entrepôt avec la foule et sortis dans la pluie sur le boulevard Beaumarchais où je me dépêchai de rejoindre Bastille. Là, je pouvais prendre le métro direction La Défense et descendre à la station George V près de l’Arc de Triomphe pour tenter ma chance au défilé de Valentino. Allais-je réussir à assister à ce défilé ?

J’essayai d’amadouer l’un des trois vigiles en uniforme qui gardaient les portes de l’hôtel Salomon de Rothschild, rue Berryer, mais ils se contentaient de faire des signes de la tête, m’envoyant de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’ils me conduisent devant une femme, tenant l’incontournable bloc-notes. Je lui expliquai ma situation, la saluant en français puis continuant en anglais pour lui expliquer ma requête. Elle examina son bloc-notes à la recherche de mon nom qui, évidemment, ne figurait pas sur la liste. « Madame, ce n’est pas possible ». Sous la froide pluie parisienne, je regardai le défilé des limousines qui s’arrêtaient devant les portes et les hommes et les femmes élégants qui en descendaient. Certains d’entre eux se retournaient et posaient pour les paparazzi puis se dirigeaient vers les portes en fer forgé. « Là, il y aura une réception à coup sûr », pensai-je. Mais je me trompais : les invités sortirent vingt minutes plus tard. Satisfaite de ma journée, je parcourus plusieurs pâtés de maison près des Champs Elysées pour rejoindre la station de métro Tuileries, tout en réfléchissant à ma prochaine tentative qui me permettrait cette fois-ci d’obtenir une invitation.

VOCABULAIRE : TRADUCTION FRANÇAIS-ANGLAIS

Atelier: Studio or workshop.
Bistro: Small restaurant.
Bisque: Light brown in color as in fired unglazed pottery.
Boutique: Shop or store.
Chignon: A knot or coil of hair arranged on the back of a woman’s head.
Haute couture: High sewing or high dressmaking. Couture is a common abbreviation of haute couture and refers to the same thing in spirit.
Hors d’oeuvres: Small savory dish, typically one served as an appetizer at the beginning of a meal.
Millefeuilles: Thousand-leaf, layers of decorative details.
Mode dégradé: Gradation, colors shading off onto one another.
Oui: Yes.
Parisian: A native or inhabitant of Paris.
Parisiennes: A female native or resident of Paris.
P¡èce de résistance: An outstanding item or event.
Prêt-à-Porter: Ready-to-wear fashion.

Remerciements : Suzy Keller, traductrice diplômée de l’ITI-RI

Barbara Redmond 708x955 Paris #2Barbara Redmond, éditeur de « A Woman’s Paris » (AWP), est une francophile qui se rend à Paris aussi souvent que possible. Ses articles sur Paris et la France sont reproduits, avec sa permission, par d’autres blogs et publications. Barbara a donné des conférences sur la mode française et la gastronomie et aide les étudiants qui veulent étudier à l’étranger. Elle fait partie du comité consultatif à l’Université de Minnesota, à la Faculté de Design. Barbara est une conseillère active pour les étudiants. Les talents artistiques de Barbara sont reconnus par de nombreuses organisations nationales et internationales. Ses peintures sont présentées lors d’expositions en Europe et en Amérique du Nord et sont disponibles à l’achat ici.

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