Impressions françaises : Barbara Will parle de Gertrude Stein, Bernard Faÿ et la vie intellectuelle durant le temps de guerre en France (première partie)
29 Thursday May 2014
A Woman’s Paris™ in Cultures, Interviews
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(Deuxième partie: French)(Part two: English) Barbara Will, professeur d’anglais au Dartmouth College, a étudié à l’université de Yale (B.A.), au Bryn Mawr College (M.A.), ainsi qu’à l’université de Duke où elle a obtenu un doctorat en littérature en 1992. Le professeur Will a publié de nombreux ouvrages sur la littérature et la culture du vingtième siècle et s’est spécialisée dans l’étude de l’oeuvre de l’auteur Gertrude Stein. Son livre Gertrude Stein, Modernism, and the Problem of “Genius” (Edinburgh UP, 2000) explore la relation complexe entre Stein et sa propre influence artistique et la situe dans le contexte général de la littérature moderne. Ce livre a remporté le prix Choice Outstanding Academic Title.
Son deuxième livre, Unlikely Collaboration: Gertrude Stein, Bernard Faÿ and the Vichy Dilemma, a remporté d’importants prix dans le domaine de la recherche, notamment de l’American Council of Learned Societies (conseil américain des sociétés savantes), du National Endowment for the Humanities (Fondation nationale des humanités), de l’American Philosophical Society (société américaine de philosophie) ainsi que de la Fondation Camargo située à Cassis en France. Elle travaille actuellement à un nouveau projet sur l’engagement de l’écrivain irlandais Samuel Beckett dans la Résistance française pendant la Deuxième Guerre mondiale. Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur Barbara Will, n’hésitez pas à visiter son site internet : (Website) (Purchase)
« Un livre riche en détails et équilibré » — The New Republic
« Un livre extrêmement riche en détails et érudit » — Jewish Ideas Daily
INTERVIEW
Unlikely Collaboration: Gertrude Stein, Bernard Faÿ, and the Vichy Dilemma
Entre 1941 et 1943, la romancière juive américaine Gertrude Stein, icône de l’avant-garde, a traduit trente-deux discours, pour le public américain, dans lesquels le général Philippe Pétain, chef du gouvernement collaborationniste de Vichy, rappelle que la politique de Vichy a pour but d’expulser les juifs et autres « éléments étrangers » de la sphère publique, tout en appelant la France à la réconciliation avec ses occupants nazis. Pourquoi et dans quelles circonstances s’est-elle engagée dans un tel projet ? La réponse se trouve dans la relation qu’elle entretenait avec l’homme au coeur de cette controverse : Bernard Faÿ, son protecteur de Vichy. Barbara Will nous montre le pouvoir formateur de cette relation qu’elle a étudiée en tant que représentation de la vie intellectuelle en France pendant la guerre mais aussi pour montrer quel a été le rôle des Américains dans le gouvernement de Vichy.
AWP : vous êtes l’auteure de Collaboration improbable : Gertrude Stein, Bernard Faÿ et le dilemme de Vichy. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire ce livre ?
BW : J’étais inspirée par la complexité du problème. Une juive américaine et écrivain expérimental, tirée d’un régime autoritaire, un régime complice d’Hitler et des Nazis. L’incohérence pure de cette histoire semblait bien valoir la peine de l’explorer dans un livre.
AWP : Vous ancrez votre livre dans une partie différente du passé de Gertrude Stein, choquée de sa vie en tant que femme et qu’écrivain, ainsi que son travail de collaboratrice au sein du régime de Vichy, en traduisant les écrits de Marshal Philippe Pétain pour un public américain. Quels défis avez-vous rencontrés et comment avez-vous pu dérouler l’histoire que vous vouliez raconter ?
BW : Les défis étaient intellectuels et professionnels, en allant aux archives, en faisant des recherches qui montreraient au grand jour les faits sur le passé de Gertrude Stein et du passé de son ami Bernard Faÿ en déterminant quelles sources étaient fiables et lesquelles ne l’étaient pas, en examinant d’innombrables documents primaires, comprenant beaucoup écrits en allemand et en français. Je me suis vue devenir spécialiste, non seulement sur la vie de Gertrude Stein mais aussi sur la France pendant le régime de Vichy (et les années l’y menant), sur le nazisme et sur les inquiétudes qui préoccupaient Bernard Faÿ, l’ami de Gertrude, à savoir le Catholicisme et son combat contre la franc-maçonnerie.
Mais les défis étaient aussi d’ordre personnel. Le livre m’a contrainte de trouver mon chemin à travers des problèmes complexes et moralement ambivalents. C’était une véritable lutte pour l’écrire. A ce jour, je reste fascinée par l’écriture de Gertrude Stein et convaincue par l’originalité de son art. J’ai fait de cette originalité le sujet de mon premier livre, Gertrude Stein, modernisme et problème de « génie ». Mon second livre sur Gertrude Stein m’a forcée à me demander ce que signifiait le fait qu’un grand écrivain soit aussi une personne si compromise. A présent, je pense à Gertrude comme quelqu’un de plutôt faible à la base : gâtée, immature et égoïste, des traits qui apparaissent en force pendant les années infernales du régime de Vichy. En même temps, je continue d’être impressionnée par la façon qu’elle avait de rester très forte, particulièrement son courage de vivre sa vie de lesbienne ouvertement lors d’une époque plutôt renfermée. A la fin, elle n’est pas seulement une artiste brillante mais aussi une personne profondément complexe et j’espère que mon œuvre sur elle rendra justice à cette complexité.
AWP : Gertrude Stein semble être la personne la plus improbable à rédiger une propagande en soutien à un régime autoritaire. Que faisait-elle en traduisant ces discours de Pétain en anglais ? Comment comprenons-nous le projet pervers de traduction de Gertrude Stein ?
BW : Il y’avait quelques facteurs impliqués dans ce projet de traduction. Le premier était son propre intérêt pour Pétain, alors à la tête du régime de Vichy pro-nazi. Gertrude avait longtemps été fascinée par Pétain, qu’elle voyait comme le leader idéal pour une France affaiblie par la « décadence » après la période turbulente des années 30. Comme beaucoup d’autres en France, elle a accueilli avec joie l’armistice avec les Nazis en juin 1940 et a vu Pétain comme un « sauveur » pour avoir évité la guerre. Elle semble avoir été influencée par sa propre propagande qui le représentait comme un saint et une nouvelle Jeanne d’Arc, qui offrirait un nouvel avenir à la France. Apparemment, Gertrude a longtemps cru en Pétain, après le repos que le pays lui a ordonné, assez cru en lui pour devenir propagandiste pour son régime.
Le second facteur était l’influence de Bernard Faÿ, l’ami de Gertrude. Mon livre suggère que l’amitié entre elle et Bernard (qui était lui-même un intime de Pétain ainsi qu’un agent de la Gestapo pendant la Seconde Guerre Mondiale) l’a finalement menée au cercle fermé de Vichy. Réaliser le projet de la traduction a permis à Gertrude Stein de cimenter sa place privilégiée au sein du régime de Vichy.
AWP : Ecrivain, traducteur, historien et directeur artistique français, Bernard Faÿ était une figure centrale au sein du régime de Vichy de Pétain. Pourquoi avez-vous choisi de raconter le soutien de Gertrude Stein au régime de Vichy à travers sa relation avec lui ?
BW : Deux individus plus captivants l’un que l’autre ont rarement vécu à la même époque ! Nous en savons beaucoup sur Gertrude et ses amis, sa célèbre collection d’art, son excitant salon littéraire expatrié, son incroyable écriture, la scène tout autour d’elle à Paris dans la première moitié du 20 ème siècle. Mais pratiquement personne n’a entendu parler de Bernard Faÿ, et dans bien des choses, il était aussi plein de couleurs que Gertrude elle-même. Bernard Faÿ est un personnage totalement unique : hautement érudit, écrivain impeccable en français et en anglais à la fois, amoureux de toutes les choses américaines, le 1er professeur des Affaires Américaines en France, la plus jeune personne jamais élue au Collège de France, ami de Franklin Roosevelt, Philippe Pétain et même Heinrich Himmler. Il avait aussi une énorme influence sur les opinions politiques de Gertrude. Je savais que raconter leur histoire conjointement ferait un bien meilleur récit.
AWP : Au sein de leur relation durant les premières années de la Seconde Guerre Mondiale, Gertrude et Bernard ont-ils cru être les « créateurs » d’une nouvelle ère ? Connaissons-nous leurs « vérités » partagées ? Ont-ils été pris dans leur propre « piège » du « génie » autoproclamé ou se sont-ils vus comme des interprètes historiques, influençant ainsi les évènements autour d’eux ?
BW : Ce sont d’excellentes questions. D’une manière inversée, les deux se sont vus comme les « créateurs » d’une nouvelle ère, bien que leur «nouvelle ère » serait toujours une ère rétro. Les deux se sont certainement vus comme des clairvoyants de leur époque. Ils étaient profondément réactionnaires et voulaient retourner dans le passé, dans un passé perdu à l’époque de la « modernité ». La « modernité » était un nom de code pour la décadence, particulièrement après la Première Guerre Mondiale. Retourner dans le passé était une façon de contourner les problèmes de modernité, de tout recommencer. Leur vision réactionnaire correspond parfaitement avec celle de Pétain d’une « Révolution Nationale » pour la France, d’un retour aux valeurs de « Travail, Famille, Patrie » qui avaient été perdues durant la supposée ère décadente des années 30.
AWP : Au 18ème siècle, l’Amérique et la France, en terme de sens et de temps, semblent se centraliser sur la relation entre Gertrude Stein et Bernard Faÿ et les ont considérés comme une utopie. Comment comprenons-nous cette dichotomie entre Gertrude, l’écrivain américaine et symbole d’avant-garde et Gertrude, la romantique du 18ème siècle paroissial ? Qu’impliquait le 18ème siècle pour eux ?
BW : Les écrivains américains modernistes, même les plus expérimentaux, regardent souvent en arrière de façon nostalgique pour se préparer aux temps modernes. Je pense à T.S Eliot et sa révérence au christianisme orthodoxe, à Ezra Pound et son amour pour la romance médiévale et le concept de « virtu », à Ernest Hemingway et sa fascination pour la frontière américaine. Il faut comprendre qu’une grande partie de cette nostalgie a émergé après que ces écrivains américains expatriés se soient échappés vers le « vieux monde », se retirant eux-mêmes de l’environnement de la modernité américaine.
Pour Gertrude Stein, le 18ème siècle était le moment de prélapsarien de l’Amérique, lorsque la nation, alors toujours informe, était à son apogée démocratique et ses leaders à leur maximum vital. Elle a vu sa propre écriture contenant quelques bouts de cette vitalité du 18ème siècle. Rencontrer Bernard à la fin des années 20 était important pour elle. Il était le spécialiste le plus avancé sur le 18ème siècle américain en France, et Gertrude et lui ont tout de suite été d’accord sur l’importance de cette époque historique. Cela a scellé leur amitié et fait croître les croyances réactionnaires qu’ils partageaient tous les deux.
AWP : à quel point leur pouvoir les saisissait-il l’un et l’autre ? L’un pouvait-il exister sans l’autre ? À la fin, l’un avait-il pris le dessus ?
BW : Je raconte l’histoire de leur amitié en termes d’arc de pouvoir, depuis que les deux ont été fascinés par le pouvoir, l’ambition et le succès. Au début, Gertrude avait clairement le dessus : elle était plus âgée que Bernard de quelques années et avait une certaine réputation quand Bernard a croisé son chemin. Au fur et à mesure que les années 30 et 40 passèrent, le modèle politique de Bernard commençait à monter et Gertrude commençait à comprendre quel ami de valeur il était. Bernard était aussi un des principaux traducteurs de Gertrude Stein, et par conséquent aidait aussi sa carrière par d’autres moyens. Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’influence et l’importance de Bernard avaient atteint leur maximum et Gertrude était alors très vulnérable. Puis la situation s’est inversée encore une fois à la fin de la guerre. Après que Bernard Faÿ ait été condamné à perpétuité au travail acharné, Gertrude Stein redevenait la supportrice magnanime d’un ami affaibli et moins puissant.
Si Gertrude Stein n’avait jamais rencontré Bernard Faÿ, serait-elle restée en France à la fin des années 30, lorsque la scène politique s’intensifiait et lorsque ses amis et sa famille étaient partis pour des endroits plus sûrs ? J’en doute beaucoup. Bernard avait une énorme influence sur elle pendant les deux dernières années de sa vie. Après sa mort en 1946, c’est un Bernard endeuillé qui faisait référence à elle comme « une des rares expériences authentiques de ma vie ».
AWP : Gertrude Stein était d’accord pour traduire une collection des discours de Marshal Philippe Pétain. Ont-ils déjà été publiés en Amérique ?
BW : Non, ils n’ont jamais vu la lumière du jour jusqu’au jour où une étudiante diplômée dans les années 90 commença à poser des questions compliquées sur eux. Ils ne sont toujours pas publiés à l’heure d’aujourd’hui, mais sont conservés dans un dossier à la Bibliothèque Beinecke à l’Université de Yale.
AWP : Pendant l’Occupation, comment Gertrude Stein et Toklas ont-ils pu échapper à la purge des Juifs de la France en guerre ? Bernard Faÿ a t’-il joué un rôle dans leur protection ? Gertrude Stein a t’-elle eu des privilèges en tant qu’écrivain américain travaillant pour la propagande en Amérique ?
BW : La seule source qui essaie de répondre à ces questions est le propre mémoire de Bernard Faÿ, intitulé Les Précieux, qui, il faut l’avouer, sert ses propres intérêts et dans lequel il déclare qu’il est en effet intervenu pour protéger Gertrude Stein et Toklas pendant la guerre. Cependant, plusieurs questions sans réponse subsistent et j’ai passé une grande partie de la moitié de mon livre à analyser ce qu’on pouvait savoir sur la véritable expérience de Gertrude.
AWP : Gertrude a t’-elle soutenu Bernard lors de son procès d’après-guerre ? Y’a t’-il eu des affaires menées contre elle après la Libération ?
BW : Elle a écrit une lettre en faveur de Bernard pour son procès, lui apportant son soutien. C’était plutôt un document mitigé, bien que Bernard ait fait beaucoup d’efforts pour prouver publiquement qu’il n’était pas antisémite. Gertrude, elle-même n’a jamais été appelée pour sa participation à la propagande pendant la guerre. Après que la guerre soit finie, elle a été retrouvée vivante, dans le sud de la France, par des soldats et des journalistes, acclamée dans la presse américaine comme une survivante et est décédée peu après en 1946.
AWP : les traductions de Gertrude Stein des discours de Pétain étaient-elles littérales et immatures ou a t’-elle communiqué sa propre « interprétation » de ses politiques de Vichy ?
BW : Le « littéralisme » des traductions de Gertrude est fascinant. Je suppose que cela a à voir avec la nature déjouée du projet. Elle n’a jamais été une traductrice conventionnelle, et le projet de traduction de Pétain semblait exiger une certaine fidélité aux mots du dictateur. A la fin, elle traduisait simplement les discours de Pétain mot pour mot. L’effet est atroce.
AWP : Gertrude Stein a t’-elle traduit d’autres œuvres politiques, discours, essais, manifestes rédigés par d’autres dans le régime ?
BW : Non. Pendant la deuxième année du régime de Vichy, elle parlait d’elle-même comme étant une propagandiste pour la France mais à part le projet de traduction de Pétain et d’un autre élément pro-pétainiste qu’elle a publié dans La Patrie, le journal de Vichy, elle n’a pas produit d’autres propagandes pour le régime. Elle a vraiment laissé très peu de traces de ses opinions pétainistes, bien que mon livre débatte d’une série entière de commentaires désobligeants qu’elle avait faits avant, pendant et après la guerre.
AWP : Gertrude Stein a t’-elle joué un rôle similaire dans la résistance française en faisant des paris sur l’aboutissement de la guerre ?
BW : Encore une fois, ses rapports avec la Résistance semblent avoir été plus fortuits que lors de la création. La région dans laquelle elle vivait pendant la guerre, le Bugey, dans le sud de la France, était un foyer de l’activité du maquis après 1942. Elle ne portait pas les Nazis dans son cœur, ses liens étaient envers Pétain, pas aux Nazis et elle a clairement apprécié de voir les forteresses nazies sabotées par le maquis.
A la fin de la guerre, comme beaucoup d’autres, Gertrude a maximisé ses liens à la Résistance et minimisé ceux qu’elle a avec Pétain.
AWP : la Collaboration est une charge sérieuse : un terme, comme vous l’écrivez, qui appartient à un monde noir et blanc. Comment comprenons-nous le terme collaboration dans la zone grise de la vie en France durant la Seconde Guerre Mondiale ? Y’a t’-il des différences subtiles dans la façon dont les français interagissaient avec leurs occupants nazis ?
BW : Oui et le but de mon livre est d’exposer ces différences subtiles. Gertrude et Bernard pourraient être appelés « collaborateurs » ; les deux ont d’ailleurs été appelés comme ça, Bernard officiellement lors du procès d’après-guerre de la purge de Vichyet Gertrude, pas officiellement, par un certain nombre de lecteurs et d’historiens qui considèrent que sa propagande pétainiste était de la collaboration pure et simple. Les deux soutiennent le régime de Vichy ; les deux avaient aussi leurs désaccords avec. Avant de les juger, il nous faut placer leurs actions dans un contexte plus large, dans une ère décrite avec grande pertinence par Hannah Arendt comme un « monde de la mort »
AWP : Comment avez-vous pu trouver un moyen de raconter cette histoire de façon à ce que les gens ne ressentent pas de haine ni de désespoir mais le sens plus large de la fragilité de la vie ?
BW : Nous sommes tous des gens complexes et certains d’entre nous ont la chance de vivre pendant une époque qui ne nous oblige pas à interroger les limites exactes de nos convictions et de notre courage. J’ai tendance à penser à ces époques parce que je veux réfléchir à la différence entre certaines qui sont variables : choix et chance, action et réaction, autoprotection et sacrifice. A la fin de mon livre, j’affirme et je célèbre le fait de survivre.
AWP : Vos recherches sont exemplaires. Comment avez-vous accumulé et obtenu cette information ? Depuis des archives civiles et juridiques, mémoires, lettres, témoins visuels ? Les informations étaient-elles principalement en français ?
BW : J’aurais probablement dû être professeur d’histoire. J’ai toujours été fascinée par les archives, excitée par l’idée de trouver quelque chose dans une boîte poussiéreuse qui peut nous ouvrir tout un monde. Il y’avait de nombreuses boîtes poussiéreuses dans la création de mon livre. Beaucoup d’entre elles se trouvaient dans les archives de Gertrude Stein, à l’Université de Yale et aux archives de Bernard Faÿ aux archives nationales de Paris. J’ai aussi eu la chance de rencontrer plusieurs parents, étudiants et amis de Bernard Faÿ qui ont gentiment partagé avec moi un aperçu et des ouvrages qui ont ramené l’homme à la vie pendant un instant. Gertrude Stein me semblait déjà être une personne vive lors de mon précédent travail sur son écriture, en grande partie autobiographique. Détruire la mise en scène du personnage qu’elle avait développé lorsqu’elle était plus âgée n’a pas été une mince affaire. Depuis, elle n’avait écrivait jamais sur ses propagandes de Vichy et je devais découvrir cette documentation parmi les blancs et silences de sa vie (ainsi que dans les archives poussiéreuses de ses amis contemporains).
AWP : Devons-nous maintenant seulement arriver à connaître les traductions de Gertrude des politiques de Pétain ?
BW : Non, l’histoire de la manière dont ces traductions sont devenues célèbres est intéressante mais tragique. Les spécialistes de Gertrude Stein avaient longtemps su son pétainisme et quelques-uns parlaient, en termes généraux, de la possibilité d’un projet de traduction. Mais ce ne fut pas avant 1996, lorsqu’une intrépide étudiante diplômée du nom de Wanda Van Dusen a trouvé les traductions des discours de Pétain dans un dossier des archives à l’Université de Yale, que le contenu complet des activités de propagande de Gertrude Stein apparut au grand jour. Wanda a publié l’introduction que Gertrude Stein avait écrite pour accompagner les discours, ce qui était très digne de Pétain, ainsi qu’une brève analyse des opinions politiques de Gertrude qui soulevait beaucoup de questions semblables que j’adresse dans mon livre. Malheureusement, Wanda s’est ôté la vie peu après mis exposé ces documents au grand jour. Son travail était vraiment innovateur.
AWP : Quelle est la chose la plus surprenante que vous ayez entendue sur la Seconde Guerre Mondiale depuis près de 60 ans après sa fin ?
BW : Ce que j’appelle « la zone grise » de cette période. Nous sommes si habitués à une vision simpliste, bonne ou mauvaise de la Seconde Guerre Mondiale et des gens qui l’ont vécue. Alors que cette vision permet à l’horreur de la guerre de rester vivante et ironiquement, cela nous éloigne aussi de ce moment. Nous pouvons nous glisser dans la peau de ceux qui l’ont connue seulement en observant la complexité de comment cela a dû être de vivre au travers de ce « monde de la mort ».
AWP : Gertrude a t’-elle écrit quelque chose qui laisserait entendre sa culpabilité personnelle pour avoir défendu le régime de Vichy et son idéologie ?
BW : Non et étonnamment, elle a défendu Pétain jusqu’à la fin de la guerre.
AWP : Pourquoi ce message de son implication est-il important, surtout aujourd’hui ?
BW : Mon livre est avant tout un voyage dans le « monde de la mort » de la Seconde Guerre Mondiale. Cela montre à quel point le fascisme a divisé et tranché les êtres humains les uns des autres, créant des distinctions injustes, dénuant de toute humanité, raciales, nationales et religieuses. L’histoire de l’amitié de Gertrude Stein et Bernard Faÿ capture la forme de cette époque dans un microcosme. Cela couvre le terrain de l’art moderniste, des relations franco-américaines et des politiques européennes mais à travers l’angle de ces deux grands individus et leur regard particulier sur le monde qui les entoure. C’est une histoire personnelle captivante mais c’est aussi l’histoire de l’une des époques les plus importantes et perturbées de l’histoire moderne. Ceux qui écrivent sur cette période savent que nous faisons cela afin de la garder en mémoire.
Acknowledgement : Marine Jacquet, étudiante en Métiers de la Traduction à l’Université Paris Diderot à Paris et traductrice pour A Woman’s Paris.
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