Paris ballet, by Michelle Schwartzbauer

Michelle Schwartzbauer

De Barbara Redmond

Hiver 2005 : (English) Sur le papier glacé d’un magazine de mode, je suis tombée sur une photo de Kate Moss à la ville, se promenant dans les rues avec des ballerines argentées aux pieds.

Tout juste publié début 2005, je feuilletais ce magazine lorsque je suis tombée sur cette photo de Kate Moss. Je n’ai pu m’empêcher d’étudier son style et de remarquer ses ballerines. C’étaient des ballerines toutes simples avec une fine semelle, un peu froissées au niveau des orteils et attachées avec un cordon. Elles étaient très échancrées et je trouvais ça vraiment sexy ! Je voulais le même look que Kate Moss, plus précisément celui de ses pieds !  J’enviais ses petits pieds fins magnifiés par les ballerines depuis le talon jusqu’au bout des orteils alors qu’elle marchait sur le trottoir. Ces chaussures lui donnaient une véritable démarche féline.

Sans même jeter un oeil au descriptif de l’éditeur, j’ai immédiatement regardé le nom de la marque des ballerines de Kate : Repetto, Paris. C’était diffèrent. C’était français. Et surtout, c’était très différent des ballerines que j’avais dans mon placard : entre celles incrustées de pierreries vert émeraude au bout légèrement recourbé et celles bleu turquoise en cuir de chevreau souple plissées au niveau des orteils attachées avec un noeud en cordon avec des semelles rouges et toutes les autres de styles différents : couleur melon ou roses, à tissus écossais ou en cuir verni, en daim, en velours et enfin mes mocassins pour sortir le soir.

J’allais justement à Paris ce mois de juillet et, quoiqu’il arrive, j’aurai les mêmes ballerines que Kate.

Après un long voyage pour arriver jusqu’à Paris, j’ai pris un taxi jusqu’à mon appartement et ai laissé mes bagages dans l’entrée. J’ai pris les magazines qui étaient dans mon sac, ai retouché rapidement mon rouge à lèvre et suis sortie pour me mettre en quête de ces fameuses ballerines de la marque Repetto dont la boutique est située dans une rue à côté  de l’Opéra Garnier. J’ai traversé le quartier historique de Paris entre le 4ème arrondissement et le 2ème, parcourant les rues et trottoirs pavés. De façon peu élégante, je me précipitais littéralement vers la boutique tout en contournant les passants, longeant les devantures de magasins et évitant les lampadaires. Je voulais à tout prix récupérer mes précieuses ballerines et, par la même occasion, l’assurance et le style de Kate Moss, avant que quelqu’un d’autre ne s’en empare.

Dans la précipitation, j’ai loupé la rue de la Paix, deux fois. C’est une rue parallèle à l’avenue de l’Opéra et qui débouche sur la place Vendôme. Si vous savez ce que vous voulez et comment l’avoir de façon polie alors autant faire preuve de style et de charme plutôt que de perdre votre temps avec une carte. J’ai donc préféré demander mon chemin.

J’ai poursuivi mon chemin le long de la rue de la Paix, une rue étroite avec des voitures et des motos garées les unes contre les autres sur chaque côté de la rue. Je continuais donc, les yeux en l’air, à l’affût des numéros de bâtiments qui me permettraient de trouver la bonne adresse.

Je me suis soudain arrêtée lorsque j’ai apperçu, de l’autre côté de la rue, une vitrine avec deux costumes de ballerine dans des tons gris et roses clairs accrochés sur des cintres en plastique et suspendus au plafond par de fines cordes satinées.

Les lumières autour  éclairaient un mur de câbles translucides accrochés entre la vitrine et les costumes, reflètant la lumière comme la pluie qui tombe sur Paris, éclairant d’une lumière éthérée les couches de tulle des tutus qui flamboyaient sur chacun des corsets en satin. Des lustres étaient suspendus dans tout le magasin et brillaient de mille feux.

L’un des murs de la boutique était perçé de trous dans lesquels étaient disposées des ballerines en satin rose. C’est dans cette rue étroite, par laquelle la lumière du soleil devait se frayer un chemin parmi les imposants bâtiments autour, que j’ai découvert les vraies couleurs de Paris : des couleurs délavées par la pluie : une sorte de greige, entre le gris et le beige, une couleur rosée qui rappelle les coquillages, des teintes sombres de lavande, les teintes de gris et de bleu les plus froides quand Paris est sous la pluie et les vibrantes couleurs pastels du moment, portées par les Parisiens à la pointe de la mode qui traversaient la rue devant moi.

Je me suis faufilée entre les voitures pour entrer dans la boutique. Seuls à peine 8 mètres me séparaient de mes précieuses ballerines argentées. Je me suis arrêtée un instant devant la vitrine. Une danseuse faisait des pointes, perchée sur le bout de ses orteils, devant un miroir en pied, essayant ses chaussures. De jeunes danseuses, qui sortaient tout juste de leur leçon, avec leur justaucorps, leurs collants et leurs cheveux remontés en chignon sautillaient dans une chorégraphie hésitante, leurs affaires éparpillées par terre. Elles étaient accompagnées de leurs mères ou seules, à la recherche de la paire de chausson de danse de leurs rêves sur les tables basses du magasin où étaient présentés des ballerines, des chaussons de danse en cuir, cuir verni et en toile. Ces modèles étaient inspirés des vrais chaussons de ballet avec des couleurs pastels ou des couleurs vives. Les épaules rejetées en arrière avec un léger mouvement de tête et la taille courbée, debout ou assise par terre, chacune étaient en train d’attacher les cordons autour de leurs chevilles. Ingénues. Silhouettes de charme et de féminité enfantine : élégantes et sûres d’elles.

J’étais entrée dans l’univers des danseuses. La magie de cet endroit m’a charmée. « Cela ne vous dérange pas si je dessine ? » j’ai demandé au vendeur. Femmes et filles, hommes et garçons, même les plus âgés semblaient se redresser dès qu’ils franchissaient le seuil de la boutique, soudain conscients de leur corps et de l’espace autour.

J’avais remarqué ce sens de l’élégance et de l’assurance caractéristique des Parisiens alors que je me promenais dans les rues de Paris et je me suis demandée si tous les Parisiens avaient suivi des cours de ballet…  Cette boutique était l’antre des danseurs  et j’étais à l’intérieur à présent, les observant tout en les comparant aux piétons que j’avais vus dans les rues, flânant tranquillement ou marchant rapidement dans un but précis comme le font toujours les piétons.

Je suis sortie de la boutique, un sac à la main avec, à l’intérieur, de magnifiques boîtes à chaussures noires avec le nom Repetto inscrit dessus en feuilles argentées. Une fois à l’appartement, j’ai ouvert la première boîte et ai déballé des ballerines BB Repetto en cuir rose pâle, puis j’ai sorti d’une seconde boîte une paire de BB bronze et or. Enfin, dans la dernière boîte m’attendait une paire de BB en cuir de chevreau noir au bout en soie plissée. J’adore la cérémonie de l’ouverture des boîtes à chaussures, c’est un véritable rituel sans parler de l’odeur des chaussures neuves. J’ai traversé l’appartement plusieurs fois en essayant chaque nouvelle paire. Je me suis amusée à imiter les petites danseuses de la boutique mais aussi les danseuses sur scène avec leurs longs mouvements de bras et leur grand jeté. Le dos bien droit. Les pieds en première. Alors que je tentais ce qui se voulait être une pirouette, je me suis souvenue de mon premier spectacle à l’Opéra Garnier, avec la troupe de l’Opéra de Paris. J’étais assise au troisième rang, assez proche pour distinguer le bruit des ballerines sur le parquet. Et juste au-dessus de moi, je pouvais admirer le magnifique plafond peint par l’artiste Marc Chagall. Je me rappelais alors  les jeunes danseuses en tutus, leurs ballerines aux pieds, leurs cheveux tirés en chignon serré et leur doux parfum d’enfance : des odeurs de Dior, Guerlain et Annick Goutal, des jeunes danseuses venues avec leurs mères et grand-mères pour assister au ballet. J’avais l’impression d’être dans un tableau de Degas.

J’ai enfilé les ballerines roses. Cette paire de chaussure sobre recquérait un style simple. J’étais déjà habillée de façon sobre mais j’avais besoin d’un style vraiment décontracté des pieds à la tête. Dans mes valises, j’avais quatre jupes droites, trois chemises à manches longues noires et blanches ainsi que deux foulards Hermès. Exactement ce dont j’avais besoin. Je me suis remis un peu de rouge à lèvres, ai jeté un oeil au miroir et ajusté mon maquillage. J’ai mis quelques bijoux puis les ai finalement enlevés mais j’ai gardé ma montre et mes boucles d’oreilles. J’ai laissé mes foulards dans leurs étuis oranges, ai attrapé mon sac en nylon et mon carnet de dessins puis je suis sortie dans les rues de Paris avec mes ballerines BB roses aux pieds.

Je regardais d’un nouvel oeil l’allure et la démarche des Parisiennes autour de moi. En particulier celles qui portaient des ballerines. La façon dont leur corps ondulait, la façon dont elle marchait. Beaucoup d’entre elles se déhanchaient à la manière d’un chat, ce qui était d’autant plus facile avec des ballerines aux pieds. Je voyais des Repetto partout. Je pouvais les reconnaître rien qu’à leur coupe, leur style, la forme de leurs semelles. J’avais mémorisé toutes les couleurs et connaissais chacun des modèles en cuir verni, en cuir, en toile et en daim.

Janvier 2012

En janvier dernier, alors que la neige tombait, j’étais allais boire des cocktails avec des amies. Je leur ai annoncé que j’avais décidé de prendre des cours pour apprendre à marcher.

“On appelait ça des cours de maintien à l’école catholique”, a dit Kat. “On était toutes obligées d’en suivre”.

Cynthia, qui a été mannequin pendant ses jeunes années, a laissé son verre de vin sur le comptoir et nous a fait une démonstration en imitant la démarche de Barbara Stanwyck, une star de cinéma américaine. A la fin de son défilé imaginaire, elle a soudain changé de démarche, imitant d’autres stars de cinéma, avant de finalement opter pour la démarche des podiums. Kat et moi étions mortes de rire en voyant Cynthia surjouait sur son podium imaginaire.

“Vraiment, je suis sérieuse !” ai-je dit, entre deux éclats de rire.

“Bon, c’est juste que j’ai du mal à t’imaginer prendre des cours de maintien”.

C’est au cours de ce même mois de janvier que j’ai pris mon premier cours de ballet. J’avais cours tous les samedis après-midis pendant une heure et demi avec un échauffement. A présent, cinq mois plus tard, je suis également un cours qui revisite les bases du ballet tous les samedis en plus de mon cours normal. Je danse. J’écoute les mots français : pirouette, plié et  relevé, qui reviennent régulièrement pendant l’entraînement et le bruit de nos patins qui frôlent le parquet. Nous avons tous belle allure dans nos justaucorps : les femmes comme les hommes. A la fin du cours précédent, nous entrons dans la salle, déposons nos sacs près du piano, saluons la pianiste, marianne, et glissons au centre de la pièce ou à la barre où nous nous échauffons en silence. Nous dansons sur les mazurkas de Chopin, les arabesques de Debussy ou encore sur les valses de Poulenc.

En juillet 2005, je voulais absolument le style de Kate Moss, sa façon simple et élégante de marcher dans les rues à la manière des Françaises.

On ne peut pas comparer l’allure de Kate à celle de l’icône et sex symbol Brigitte Bardot, une danseuse de formation classique. En 1956, elle demanda à Rose Repetto de customiser un chausson de danse qu’elle pourrait porter dans la rue. Elle voulait une chaussure qui dévoilerait la naissance des orteils, un nouveau genre de décolleté pour le film qu’elle tournait à l’époque : Et Dieu Créa la Femme, le film même qui la consacra. Bardot recherchait une démarche libérée et sensuelle.

En 1957, toutes les femmes ont adopté le style Bardot : ballerines aux pieds, pantalons Capri, marinières et les cheveux blond platine. Un style sophistiqué très français adopté par les jeunes femmes sportives, les nouveaux riches et la haute société. Jackie Kennedy Onassis a totalement adopté ce look avec sa coupe de cheveux bouffante, ses lunettes de soleil ovales, ses pantalons moulants et, bien sûr, ses ballerines. La jolie brune avait tout d’une vraie Française, toute en élégance et style. Ce look incarne toujours aujourd’hui un style à la fois élégant, chic mais aussi décontracté. Cette chaussure ultra plate empruntée à l’univers de la danse classique est toujours une valeur sûre de la mode aujourd’hui.

Grâce à mes ballerines achetées dans cette petite boutique parisienne, j’ai adopté une démarche plus féline, un style décontracté de la tête aux pieds, cette simple paire de chaussures a littéralement transformé mon look.

VIMEO “Pas de Deux Coda” by Opening Ceremony
[vimeo http://www.vimeo.com/18113728 w=400&h=225]

Pas de Deux Coda from Opening Ceremony on Vimeo.

VIMEO: Repetto
[vimeo http://www.vimeo.com/20524741 w=400&h=225]

Repetto – Vitrine interactive from Marcel on Vimeo.

Note pour les lecteurs :

“Beaucoup de petites filles en France prennent des cours de danse classique et toutes connaissent la marque Repetto. Repetto a eu l’intelligence de créer un modèle de chaussures qui n’était pas destiné à la danse classique mais qui en était fortement inspiré. Aujourd’hui, elles sont exceptionnellement confortables et… chères ! En France, nous en sommes fans ! Barbara, vous êtes vraiment une spécialiste pour analyser le style français !”, Christine Loÿs, documentariste et journaliste.

Pour en savoir plus sur Christine, visite: French Impressions: an interview with documentary filmmaker Christine Loÿs.

Remerciement : nous remercions les personnes suivantes qui ont contribué à la rédaction de cet article : Timothy Wilkerson, docteur et chef de service de Français a l’université du Wittenberg. Mallory Aler, traductrice à A Woman’s Paris, étudiante du Français, l’Allemand et Russe à L’Université de Wittenberg, Elyse Rozina, rédactrice en Chef de Traduction à A Woman’s Paris, étudiante du Français et de l’Italien à L’Université de Minnesota Twin Cities, Suzy Keller, traductrice à A Woman’s Paris, diplômée de l’ITI-RI. 

Barbara Redmond 708x955 Paris #2Barbara Redmondéditeur de « A Woman’s Paris » (AWP), est une francophile qui se rend à Paris aussi souvent que possible. Ses articles sur Paris et la France sont reproduits, avec sa permission, par d’autres blogs et publications. Barbara a donné des conférences sur la mode française et la gastronomie et aide les étudiants qui veulent étudier à l’étranger. Elle fait partie du comité consultatif à l’Université de Minnesota, à la Faculté de Design. Barbara est une conseillère active pour les étudiants. Les talents artistiques de Barbara sont reconnus par de nombreuses organisations nationales et internationales. Ses peintures sont présentées lors d’expositions en Europe et en Amérique du Nord et sont disponibles à l’achat ici.

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Text copyright ©2012 Barbara Redmond. All rights reserved.
Illustration copyright ©2012 Michelle Schwartzbauer. All rights reserved.
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